Un piano dans les airs

Martha Argerich

Le 9 novembre dernier, Martha Argerich a livré une version « urgente » mais dépouillée de son répertoire fétiche, en concert à la Philharmonie de Paris.

« Tous les enfants sont des artistes. Le problème, c’est de rester artiste une fois adulte »
- Picasso

Le 9 novembre dernier, avait lieu à la Philharmonie de Paris un concert au profit de l’Institut Curie pour la recherche contre le cancer et en hommage au chef d’orchestre Claudio Abbado, disparu en janvier 2014. Il réunissait  l’orchestre du festival de Lucerne - créé par Abbado en 2003, dirigé par Andris Nelsons - et la pianiste Martha Argerich.

Au programme, le troisième concerto de Prokofiev - enregistré par Argerich et Abbado en 1967, deux ans avant leur premier concert parisien -, suivi d'une merveilleuse et profondément émouvante Cinquième de Mahler par un orchestre très attachant.

Déesse aux doutes

Martha Argerich - 74 ans - règne sur le piano international depuis une cinquantaine d’années avec une aura et des moyens hors du commun. Déifiée par son public, elle a récemment été montrée sous un jour plus humain, pétrie de doutes en coulisses. Bloody daughter est le documentaire que sa fille Stéphanie Argerich (née de son mariage avec l’immense pianiste Stephen Kovacevich) a présenté il y a deux ans. Ce film, qui semble émaner d’un besoin personnel, peut paraître à certains égards impudique mais Stéphanie Argerich précise : « Ce qui est fou, c’est de passer de l’un à l’autre, de montrer dans les coulisses la petite fille terrorisée, puis la bête de scène. Quand je dis qu’elle est une déesse, ce n’est pas tout à fait une blague. Je pense à la mythologie grecque, tous ces dieux qui ont des pouvoirs monstrueux et, en même temps, des qualités et des défauts très humains auxquels on peut s’identifier... »

Paysages immaculés

Pour ce qui est de son interprétation de ce lundi, dans une de ses œuvres-pantoufles (au même titre que le concerto de Ravel ou celui de Schumann), l’auditeur ne peut qu’être saisi devant cette vitalité ébouriffante à 74 ans, livrant un Prokofiev de fer et d’air tout à la fois.

Oui, Martha Argerich est hantée par l’urgence. Pourtant, à l’heure d’une certaine catégorie d’interprètes déguisés en avions supersoniques, on peut observer chez elle un dépouillement,  un détachement étonnant, une vision musicale comme débarrassée de l’ego, sans aucun faux-semblant. L’enjeu est de taille : ne pas être tenté de séduire malgré la présence du public. À ce titre, le troisième mouvement a révélé dans le leggierissimo des paysages tout simplement immaculés.
Sa simplicité presque enfantine s’est ressentie jusqu’à l’écoute de sa sonate fétiche de Scarlatti.

Pour paraphraser Clara Schumann au sujet de son époux : «  Elle n’est plus que musique, mais je l’aime pour cela. »

— Laurianne Corneille

Crédit photo :

Adriano Heitman (CC BY 2.0)

Le 10 Novembre 2015 par Laurianne Corneille

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