Quatre ans de bruits, une minute de silence

1915 Sainte Barbe 11e Batterie 45e Rgt d'artillerie coll. Historial de la Grande Guerre ©Y.MedmounLors de la Première Guerre mondiale, la musique a cherché à triompher du vacarme et d’un silence forcément assourdissant.

Affiche de l'expo "Entendre la guerre"A quoi reconnaît-on qu’une guerre est finie ? Au silence qui s’abat. Le 11 novembre 1918, le déluge vibratoire de l’artillerie est encore perceptible peu avant l’armistice, fixé à 11 heures. Une minute plus tard, la terre se fait grande muette. Un sonagramme conservé à l’Imperial War Museum en témoigne. Un an plus tard, pour la première fois, c’est d’ailleurs par une minute de silence qu’un hommage sera rendu.

Ce silence, qui empêche le poilu de dormir une fois revenu du front, est l’un des aspects les plus saisissants de l’exposition Entendre la guerre, à l’Historial de Péronne, au cœur des champs de bataille de la Somme. Silence angoissant entre deux tonnerres qui pourrait laisser croire à une ruse des adversaires s’approchant subrepticement. Silence prudent, pour ne pas livrer aux oreilles ennemies des informations décisives. Silence traumatique, accompagné de surdité, vertiges, acouphènes, plaies auriculaires, otites…

Le silence des ciseaux

En musique, le silence aura été bref. A l’arrière, les salles de spectacle - fermées en août 1914 - rouvrent bientôt. Les chansons sentimentales et comiques continuent de se propager. Les compositeurs français créent plus de 200 œuvres entre 1914 et 1918. Mais on ne s’amuse pas « comme si de rien n’était ». Au moins 5 % des recettes des concerts doivent être reversés à des œuvres de bienfaisance. Le patriotisme souffle. Des airs sont militarisés. Et des chansons décrivent la vie des tranchées. Mais la censure rôde. C’est le silence des ciseaux.

La musique ne se cantonne pas aux cabarets de la capitale. On l’entend aussi s’élever des camps de prisonniers, des territoires occupés, des tranchées. La guerre abolit au moins une frontière, celle qui séparait des musiciens aux genres hiérarchisés : les musiques populaires (avec la chanson et le café-concert) et les musiques savantes (lyriques et symphoniques).

Violoncelle en caisse de munitions

Instruments de bric et de broc

Les soldats, eux, produisent un « contre-bruit tantôt ludique, tantôt esthétique et élitaire, toujours salvateur ». « Le poilu chante surtout les femmes », apprend-on sans réelle surprise. Dans les tranchées, les musiciens bricolent des instruments - souvent à cordes : mandoline née d’un bidon, d’une bassine ou d’une gamelle ; violon qu’un maréchal-ferrant et cafetier a fait naître de boîtes à cigares ; violon-gourde ou encore violon-sabot dont la tête, sculptée, représente un soldat allemand. Autre rencontre : celle du jazz tout juste né. En 1918, l’orchestre du 15e (puis 369e) régiment d’infanterie de l’Armée des Etats-Unis donne des concerts. Dans un village du Nord de la France, la population accueille l’armée américaine et le refrain Army Blues. Une vieille dame se met alors « à esquisser sur notre musique un pas qui ressemblait tout à fait à notredanse Walking the dog, se souvient le jazzman Noble Sissle. J’eus alors la certitude que la musique américaine deviendrait un jour la musique du monde entier. »

Clairon et montée au front

Cet aperçu des sons de la guerre est limité par l’absence d’enregistrement. Pour pallier cette méconnaissance, Luc Martinez - compositeur et « sound-multimedia designer » - offre un échantillon sonore de huit minutes. On entend une voix – « y avait quelque chose qui se préparait » –, puis un clairon. Fleur au fusil, puis montée au front : adossé au mur, le visiteur tremble. Avant qu’un corbeau ne crie sur une plaine qu’on imagine en deuil. Lugubre.

A la sortie, près de l’Historial, l’oreille se berce de la caresse du vent, du clapotis de l’eau, des apostrophes des pêcheurs. Le silence rappelle au souvenir.

 

— Mathieu Hautemulle

 Exposition « Entendre la guerre. Sons, musique et silence en 14-18 », Historial de la Grande Guerre de Péronne-Thiepval. Jusqu’au 16 novembre. Entrée libre. www.historial.org

Crédits photos :

A la Une : 1915 Sainte Barbe 11e Batterie 45e Rgt d'artillerie. Collection Historial de la Grande Guerre ©Photo Y.Medmoun

Taisez vous mefiez vous_Pro Patria Collection Historial de la Grande Guerre©Photo Y.Medmoun

François Gervais avec violoncelle fabriqué dans boite de munitions. Collection Historial de la Grande Guerre ©Photo Y.Medmoun

 

Le 17 Juillet 2014 par Mathieu Hautemulle

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