Partitions : les boutiques paient la note

Victimes de la concurrence des sites gratuits, les boutiques de partitions - à l'instar de la Frank Music Company à New York le 4 mars dernier, disparaissent ou s’en remettent à la vente en ligne d’éditions réputées.

On a beaucoup parlé ces dernières années de l’impact du téléchargement ou de la copie privée sur la chute vertigineuse des ventes de disques dans l’industrie musicale. On s’est en revanche peu émus, en comparaison, du recours de plus en plus fréquent des musiciens à des sites Internet - tels que celui de l’International Music Score Library Project (imslp.org) - qui font mourir à petit feu les vendeurs de partitions. La fermeture le 4 mars dernier de la Frank Music Company, dernier magasin de partitions de musique classique à New York, marque la fin d’une époque.

Catalogue considérable

La Bibliothèque musicale Petrucci – autre nom officiel du site IMSLP -, mise en ligne en 2006, est une sorte de centre de ressources en ligne collaboratif alimenté par les internautes, proposant au libre téléchargement des éditions libres de droits de partitions de musique classique. Dans la lignée de sites collaboratifs à succès comme wikipedia, IMSLP s’est rapidement imposé comme une mine incontournable – à défaut d’inépuisable – de partitions, proposant en version pdf des œuvres intégrales de musique de chambre, symphoniques et même d’opéras, éditées par parties séparées, arrangements pour piano, ou conducteurs d’orchestre. Le catalogue à disposition est désormais considérable ; on ne trouve pas tout, certes, mais force est de reconnaître que l’on trouve beaucoup de choses : traduit en 26 langues, le site revendique sur sa page d’accueil 90 420 œuvres, soit plus de 300 000 partitions de plus de 12 000 compositeurs différents, sans compter plusieurs dizaines de milliers d’enregistrements. Une caverne d’Ali Baba numérique !

Source sûre

Si la qualité des éditions proposées en ligne n’est évidemment pas garantie ni homogène (numérotation des mesures faisant souvent défaut, pagination peu pratique pour les tournes, etc.), la gratuité des contenus en fait un concurrent féroce pour les éditeurs qui peinent à survivre. Comment lutter ? La vente en ligne est assurément une alternative à moyen terme pour ces derniers, car de nombreux musiciens professionnels préfèrent la qualité d’une édition reconnue par rapport à une source moins sûre, que l’on doit de surcroît passer du temps à imprimer. En outre, la spécialisation sur certains répertoires, et notamment la musique contemporaine, est une autre carte à jouer pour les éditeurs qui louent leur matériel à des orchestres, et touchent des droits sur les exécutions des œuvres en concert.
L’explosion du téléchargement de partitions sonnera en revanche probablement le glas des magasins de partitions. À Paris, la Flûte de Pan fait encore de la résistance, mais pour combien de temps ? Cette librairie musicale, leader en France sur le marché, a enregistré une chute significative de ses ventes au tournant des années 2011/2012 : une partition qui se vendait à 60 exemplaires ne se vend plus qu'à 25. En parallèle, le chiffre d'affaires de la vente en ligne dépassera bientôt celui des articles vendus en magasin.

Partitions augmentées

Les orchestres continuent actuellement d’utiliser des partitions imprimées, mais les premiers concerts sur partitions numériques ont vu le jour, et des applications permettent désormais d’annoter les fichiers directement sur les tablettes tactiles. Une startup française, Weezic, développe quant à elle des partitions augmentées, qui tournent les pages toutes seules, et sont même capables d'identifier les erreurs de l'exécutant en les coloriant sur la partition ! (1)
Après avoir radicalement transformé les modes d’écoute, le numérique s’apprête à bouleverser notre rapport à la musique écrite.

— Hannelore Guittet

Le 18 Mars 2015 par Hannelore Guittet

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