Nom de code...

À l’instar de Bach, de nombreux compositeurs utilisèrent les lettres de leur nom cachées dans la musique pour signer leurs œuvres.

Hitchcock adorait faire un clin d’œil à son public en apparaissant furtivement dans ses films(1). Jusqu’à faire de ce procédé sa marque de fabrique : on dénombre ainsi au moins trente-sept caméos dans sa filmographie. Cette forme de signature picturale camouflée aurait-elle un équivalent en musique ?

Signature masquée

Expert du cryptogramme musical, Johann Sebastian Bach, a employé sa propre signature codée en notes dans plusieurs de ses œuvres. Selon le système de notation allemand, chaque note correspond à une lettre(2) (voir l’encadré). Ainsi B-A-C-H correspond à la séquence : si bémol, la, do, si bécarre. Ce motif représente une véritable signature musicale, qu’il a employée sciemment, intégralement ou transposée en conservant les intervalles. On le retrouve notamment dans la Passion selon Saint-Matthieu et dans le troisième sujet de la Fuga a 3 Soggetti (Contrapunctus XIV inachevé) de L’Art de la fugue, tel que vous pouvez l'entendre dans la vidéo ci-dessous(3).

 

Abréviations

Depuis la première moitié du XIXe siècle, de nombreux compositeurs qui suivirent la redécouverte de Bach réutilisèrent ce même motif en hommage au maître de Leipzig. Liszt ainsi a écrit Fantasie und Fuge über das Thema B-A-C-H et Rimski-Korsakov des Variations sur BACH pour piano, mais ils ne sont pas les seuls. On compte aussi Schumann, Schönberg, Poulenc, Reger, Webern, etc.

D’autres encore ont choisi de suivre son exemple en signant leurs œuvres de leur propre nom. Mais tous n’eurent pas la chance d’avoir un nom de quatre lettres avec des équivalents en notes ; certains durent le tronquer et utiliser des abréviations. L’exemple le plus connu est certainement celui de Dimitri Schostakowitsch(4) qui a signé D-S-C-H (ré, mi bémol, do, si bécarre), qu’on peut notamment entendre à nu au tout début de son 8e quatuor à cordes.

 

Énigmes

Nous pourrions citer également Robert Schumann, qui a choisi S-C-H-A (mi bémol, do, si bécarre, la), employé dans Carnaval op.9 et dans Faschingsschwank aus Wien op.26 ;  et Alban  Berg avec A-B-H-F (la, si bémol, si bécarre, fa), dans Lyrische Suite. Enfin, signalons Franz Schubert, avec F-S-C-H (fa, mi bémol, do, si bécarre) ; Arnold Schönberg avec S-C-H-B-E-G (mi bémol, do, si bécarre, si bémol, mi, sol) ; Belà Bartok avec B-E-B-A (si, mi, si, la) ou B-A-B-E (si, la si, mi) ; John Cage avec C-A-G-E (do, la, sol, mi).

À l’oreille, il est parfois difficile de distinguer ces signatures qui passent souvent inaperçues. Ces cryptogrammes musicaux peuvent être étroitement imbriqués à la structure musicale.  Une analyse musicologique et une écoute attentive sont requises pour trouver la clé de l’énigme.

Si le but d’Hitchcock était de faire un clin d’œil ou bien son autopromotion, celui de Bach était certainement d’ordre mystique et transcendantal. Bien qu’on puisse faire le rapprochement dans leurs manifestations, les intentions derrière ces signatures diffèrent, comme les époques dans lesquelles elles s’enracinent.

— Charles-Étienne Marchand

1 - Voir https://www.youtube.com/watch?v=_YbaOkiMiRQ.

2 - C’est le cas en notation anglaise également, mais l’alphabet y est limité de A à G. Les Allemands utilisent le B comme si bémol et le H comme si bécarre.

3 - Au minutage 6'54.

4 - Orthographe allemande.

Crédit photo

Rafael Poveda  CC BY-NC-SA 2.0

Le 19 Septembre 2014 par Charles-Étienne Marchand

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