Mon père, ce maestro
Avec Le Dernier coup de marteau, Alix Delaporte signe un film touchant, malgré les clichés, sur la rencontre entre un garçon féru de foot et son père chef d’orchestre.
L’idée de départ du film est plutôt bonne. Victor, un adolescent de treize ans passionné de foot, qui ignore tout de la musique, est élevé dans des conditions matérielles difficiles par sa mère atteinte d’un cancer. Il cherche à entrer en contact avec son père qu’il ne connaît pas, un chef d’orchestre venu diriger à l’opéra de Montpellier. C’est la rencontre entre deux univers en apparence opposés, avec en toile de fond la Sixième symphonie de Mahler. Le titre du film fait référence aux coups de marteau qu’on entend dans cette œuvre musicale, comme trois coups du sort dans la vie du compositeur, que celui-ci a cherché à conjurer.
Rapports humains
On est tout d’abord saisi par la beauté et l’humanité de ce film. Les dialogues sont assez rares, mais on comprend beaucoup de choses dans le langage non-verbal, les gestes et l’intensité des regards des personnages, auxquels on s’attache rapidement. Les acteurs, tous primés pour leur performance, sont excellents (Clothilde Hesme - prix d’interprétation féminine du Festival de Marraketch, Grégory Gadebois - prix d’interprétation masculine du Festival de Saint-Jean-de-Luz, Romain Paul - prix Marcello-Mastroianni du jeune acteur du Festival de Venise) et les images de Claire Mathon sont magnifiques. La réalisatrice sait filmer les rapports humains de la vie quotidienne avec une grande finesse et beaucoup de justesse ; les rapports mère-fils sont particulièrement touchants et crédibles. Après un documentaire sur Zidane, qu’elle a suivi pendant deux ans, on la sent également à l’aise avec le milieu du foot.
Idées reçues
On ne peut que se réjouir qu’Alix Delaporte ait imaginé cette incursion dans le monde de la musique classique. L’idée est noble de vouloir démontrer - comme le père chef d’orchestre à son fils - qu’il n’est pas nécessaire de connaître la musique pour ressentir une émotion. Les faiblesses résident toutefois dans l’apparente originalité de ce scénario. La rencontre entre le jeune protagoniste et la musique classique apparaît légèrement artificielle. Dès lors que l’adolescent pousse les portes de l’opéra, la fiction perd de son naturel.
En voulant bien camper les deux univers de façon opposée, la réalisatrice n’échappe pas au cliché voulant que la musique classique soit un milieu fermé au monde extérieur. Notre jeune protagoniste se heurte non seulement à l’hostilité de son père, qui de prime abord n’est pas prêt à le reconnaître, mais à plusieurs reprises il sent bien également qu’il n’est pas le bienvenu ; notamment lorsqu’un musicien demande avec animosité la raison de sa présence à la répétition, puis dans un tête-à-tête à table, où le père et le fils échangent pour la première fois, ce dernier lui parle de foot sans que son géniteur ne comprenne à quoi il se réfère. Le personnage du chef d’orchestre dépeint ici ne connait que la musique et il ne s’intéresse égoïstement qu’à cela. C’est d’ailleurs la seule manière qu’aura Victor pour entrer en contact avec son père : apprivoiser la musique.
Référence anecdotique
Finalement, à part donner un titre au film, le rôle de la Sixième symphonie de Mahler dans cette histoire est mineur et semble plutôt être un prétexte dramatique. Le lien est cousu de fil blanc. Bien que possible, on a du mal à croire à l’enthousiasme subit de l’adolescent pour cette œuvre. Certes, l’idée de faire écho au dernier coup de marteau n’était pas mauvaise, mais elle n’est pas totalement intégrée au scénario. En cela, la musique de Mahler reste anecdotique au regard du film ; elle nous en distrait plus qu’elle ne le sert. Un film qui, du reste, a de nombreuses qualités et mérite d’être vu.
Sortie en salle le 11 mars 2015.
— Charles-Etienne Marchand