L’agité du vocal
Bernard Cavanna - auteur notamment de « Messe, un jour ordinaire » et« À l’agité du bocal : bousin pour 3 ténors dépareillés et orchestre de foire » - se voit remettre fin novembre le grand prix de la Sacem pour l’ensemble de sa carrière.
Comment devient-on compositeur ?
Je le suis devenu un petit peu par hasard, car j’avais un professeur de piano - Anne Costes - qui me donnait des petits exercices d’écriture d’une mélodie sur une basse, ou l’inverse. Née en 1888, c'était une femme avec des références comme Delibes, D’Indy, Saint-Saëns… Debussy était un compositeur d’avant-garde pour elle ! Je suis resté très ami avec elle jusqu’à la fin de sa vie. Ses jeux de composition m’ont toujours plu davantage que les exercices de piano eux-mêmes, et j’ai ainsi commencé à écrire vers dix ans. Puis, plus tard, je suis allé frapper à la porte d’Henri Dutilleux pour lui montrer les premières compositions que j’estimais valables. C’était très mauvais ! Mais il ne m’a pas envoyé balader. Il m’a reçu gratuitement, des après-midi entiers. Enfin, j’ai commencé à fréquenter les cercles de musique contemporaine, mais c’est difficile de s’imposer en tant qu’autodidacte.
Henri Dutilleux a donc été un mentor ?
En quelque sorte, au début… même s’il m’a fallu m’émanciper après. Sa musique – avant Ainsi la nuit – est de facture très classique, le poids des institutions est très fort dans son langage. J’ai énormément d’admiration pour son travail, mais j’ai ressenti le besoin d’aller me frotter à d’autres personnalités, comme Maurice Ohana, Georges Aperghis, et surtout Aurel Stroë - immense compositeur roumain qui m’a beaucoup influencé. J’ai réalisé un film sur lui ; je regrette qu’il ne soit pas plus connu. C’est un très grand créateur, son personnage transperce l’écran véritablement.
Quand est venue la reconnaissance institutionnelle ?
Vers trente ans, j’ai séjourné à la Villa Medicis (1985), et ma musique a été éditée par Salabert. C’est devenu plus facile. Avant cela, j’ai beaucoup travaillé pour le théâtre avec Antoine Vitez notamment à la Comédie-Française, mais aussi pour le cinéma et la publicité. C’était très formateur, et ça m’a permis de gagner ma vie quand j’étais jeune.
Néanmoins, le véritable déclic est venu en 1994 avec le succès de Messe, un jour ordinaire, puis le Concerto pour violon, qui a été applaudi pendant dix minutes lors de sa création par Noëmi Schindler en 1999, au festival Présences à Radio France. C’est fou, c’est la durée d’un mouvement ! Je le dois beaucoup à Noëmi ; je ne pense le violon que « par elle ».
Vous écrivez donc pour des interprètes plutôt que pour des instruments ?
J’avais une véritable troupe autour de moi il y a quelques années, dont Noëmi, mais également l’accordéoniste Pascal Contet, la chanteuse Isa Lagarde, et le violoncelliste Christophe Roy. Nos chemins se sont un peu séparés depuis, mais je continue d’écrire pour des personnes plutôt que pour un instrumentarium, ce qui est une démarche courante chez les compositeurs. Beethoven par exemple - pour prendre un exemple illustre - a commencé à écrire des parties de contrebasse plus fournies dans ses symphonies, suite à une rencontre marquante avec un grand virtuose de l’époque.
Le Grand Prix de la Sacem, attribué le 24 novembre pour l’ensemble de votre carrière, doit vous faire plaisir ?
Oui, même si j’ai un peu l’impression d’être un escroc parce que, dans ma jeunesse, le seul prix que l’on m’ait jamais remis, c’était un prix de camaraderie ! Ma scolarité était très chaotique, j’étais souvent sanctionné pour manque de discipline. Mais je l’accepte évidemment avec grand plaisir !
— Hannelore Guittet
Crédit Photo : Musica