J'aime me nourrir de toutes les musiques

Dix ans après Pomaïe Klokochazia balek, Nosfell se réinvente avec Amour massif, son 4e album studio. Rencontre avec un troubadour des temps modernes, en concert à Paris le 26 mars, à La Maroquinerie. 

Ceux qui te présentent comme un chanteur et musicien de rock français ont-ils raison ?

J'aime le rock ; c'est une de mes influences majeures, mais je ne sais pas si je suis un chanteur de rock... Je fais très souvent référence à ce genre dans ma musique, notamment dans mon précédent album Nosfell, enregistré avec Alain Johannes, et sur lequel Joshua Homme est venu chanter avec moi et sa femme Brody Dalle. J'ai toujours cultivé une forme de syncrétisme : ma culture et mes émotions musicales sont très vastes. Je peux encore revenir aujourd’hui vers un truc que j’ai aimé quand j’avais huit ans, comme les grands chanteurs de pop américains. Avec ma mère on allait aussi très souvent à des concerts de groupes de métal et de punk. Par ailleurs, ma femme, qui est pianiste, continue de me faire découvrir beaucoup de pièces classiques magnifiques, de Fauré, Chopin, Debussy, Satie… J'aime me nourrir de toutes les musiques qui me touchent.

Ton éclectisme a eu tendance à dérouter le système, notamment médiatique. Te sens-tu plus à l’aise désormais ?

Oui, même si à chaque fois que je fais un disque j’ai l’impression que c’est le dernier. Pour Amour massif j’ai pris un gros risque puisque je suis producteur et que j’ai écrit des arrangements de cuivres (réarrangés par le magnifique Trio Journal Intime!), des cordes, des musiciens partout… La réalité économique du milieu m'aurait plutôt poussé à faire un album avec un synthétiseur et une guitare, mais j’avais de la matière à proposer aux musiciens, et ils se sont vraiment positionnés comme des collaborateurs. J’avais prévu le coup, mis un peu de sous de côté et une grande amie m’a prêté un lieu extraordinaire pour enregistrer. Grâce à de nombreuses histoires humaines autour de ce disque, le résultat s’est révélé à la hauteur de ce que je voulais faire.

Tu qualifies Amour massif d’album pop…

Pop dans le sens où il est peut-être un peu plus direct que les autres, mais il est très loin de la tradition pop. Ce que j'aime dans « pop » c'est que c'est l'abréviation de « populaire ». Le disque est plus direct aussi car les morceaux ne sont pas vraiment interdépendants, à part l’intro et l’outro1. Dans les disques précédents j’avais un canevas narratif défini avant de concevoir les titres, alors que là j’ai écrit des chansons sans me soucier de l’endroit où je voulais les placer dans la liste. J'ai vraiment pensé Amour massif comme une compilation.

Autre rupture par rapport à tes précédents albums, tu délaisses largement le klokobetz2 au profit du français... 

Pas exactement ; j'avais déjà écrit en français et surtout beaucoup en anglais dans mes précédents albums. Seul Le Lac aux Vélies a été entièrement chanté dans ma langue inventée. Avec Amour massif j'essaie d'élargir certaines pistes déjà lancées dans le passé. Par ailleurs, cette espèce de mise en abyme identitaire, qui annulait complètement ma propre identité, était née d’une souffrance. Je souhaite assumer d’être une personne qui évolue, qui n’est pas imperméable à la réalité, mais un peu à côté d’elle. Ce qui me touche d'ailleurs dans l’écriture de Dominique A3, c'est qu'on est comme dans un demi-sommeil pour moi. Je l'aime. 

J’aime le songwriting, mais dans une langue qu’on ne comprend pas tout de suite, j’ai peur que le geste s’essouffle. J’ai envie d’autre chose pour ce langage inventé, d’autres écrins comme Le Lac aux Vélies (voir encadré). J’essaie aussi de lui donner une forme plus romanesque, mais c’est un travail très très long. 

Le livret d’Amour massif est plus sobre que les précédents…

Avec la photographe Nhu Xuan Hua et le graphiste Stan (chez Gr8 Design), nous avons travaillé sur des choses assez simples en référence à l' « Art nouveau » et Egon Schiele, mais aussi l'Art islamique et japonais. J’aime la période « Art nouveau » parce qu’on y trouve des tas d'influences, comme l'ukiyo-e4 notamment. Stan a aussi travaillé sur des patterns issus de mosaïques arabes… Je réunis ainsi trois univers qui me touchent : la fascination occidentale de fin XIXe-début XXe siècle, pour l’exotisme, et puis des choses plus personnelles : le Japon5, et mes origines qui sont en Berbérie dans les montagnes du Moyen-Atlas, mais que je ne connais pas vraiment, et que j’ai souvent fantasmées.

Après ta collaboration avec le chorégraphe Philippe Decouflé, tu n’as pas envie de solliciter quelqu’un à ton tour ? 

J’aime la danse ; c'est une discipline que je trouve extrêmement folle et poétique. Le geste de Philippe et son discours ont quelque chose de merveilleux et d'enfantin que j'adore. Ce n'est pas que de la danse ; c'est du spectacle total ; très amusant à concevoir et à jouer tous ensemble avec les membres de sa compagnie, la Compagnie DCA. Je crois que nous aimerions beaucoup travailler ensemble à nouveau… J'ai beaucoup de plaisir à collaborer avec des artistes danseurs et chorégraphes, que ce soit dans des réflexions plus cérébrales, ou dans des formes amusantes et légères.

Je suis en train d'écrire avec le poète Anne-James Chaton, une pièce/performance que nous devrions terminer pour 2015-2016.

 

— Cécile Almendros

1 - Conclusion d’une composition musicale.

2 - Langage de Klokochazia, contrée fantastique née de l’imagination de Nosfell et qui tient une place importante dans ses premiers albums.

3 - Dominique A signe les paroles de deux chansons d’Amour massif : Même si la mer ne dit rien et Dans des chambres fantômes.

4 - Mouvement artistique japonais de l'époque d’Edo (1603 - 1868).

5 - Nosfell a fait des études supérieures de japonais.
 
Crédits Photos : ©Nhu Xuan Hua
 
Le 11 Mars 2014 par Cécile Almendros

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