En manque de romantisme
Le musicologue Alexandre Dratwicki(1) œuvre pour la redécouverte du romantisme français, aujourd’hui restreint à ses représentants les plus prestigieux. Rencontre à l'occasion du concours international de musique de chambre de Lyon dont il était membre du jury cette année.
Comment ressort-on de quatre jours d’écoute intense lors d’un concours de duo violon/piano ?
Pas si mal ! J’appréhendais un peu l’endurance que cela demande, d’autant que de nombreux candidats avaient choisi de jouer les mêmes pièces dans la liste des œuvres imposées, mais au final nous avons eu des lectures très différentes, très personnelles.
Le concours de Lyon faisait cette année la part belle au répertoire français(2), avec notamment des œuvres peu connues de Lucien Durosoir, Charles-Valentin Alkan, Charles Koechlin, Gabriel Pierné… Comment définir ce fameux style français post-romantique ?
Ce n’est pas si simple, car le style français est beaucoup plus varié qu'on voudrait nous le faire croire dans l’enseignement « traditionnel » des conservatoires. L’histoire de la musique n’a voulu retenir du post-romantisme français que le style le plus unique, personnel… exceptionnel, celui de Maurice Ravel, Gabriel Fauré, et Claude Debussy. Et encore ! D’un certain Debussy, car Debussy à ses débuts a écrit quelques œuvres très romantiques qu’aujourd’hui on nie, ou dont on se moque. Ce trio a éclipsé beaucoup de ses contemporains, et on a gardé autour d’eux tous ceux – comme Albert Roussel et André Caplet par exemple - qui à un moment de leur vie se sont rapprochés de leur esthétique évanescente, impressionniste.
Certains compositeurs français étaient pourtant très clairement influencés par le romantisme allemand… Ont-ils tous sombré dans l’oubli ?
La plupart en effet ne sont pas joués. Celui que l’on retient est probablement César Franck, incontournable, car on identifie son style immédiatement : trois accords suffisent. C'est un Richard Wagner français en quelque sorte, avec un langage très caractéristique. Sinon, il existe en parallèle une « école germanique »(3) française au XIXe siècle, demeurée très méconnue. Cette école a duré jusqu’au début du XXe siècle, frayant ainsi avec le courant impressionniste. On y retrouve des compositeurs comme Théodore Dubois, Félicien David, Louis Théodore Gouvy, nourris des œuvres de Robert Schumann, Felix Mendelssohn et Franz Schubert. Lucien Durosoir - dont la sonate était imposée aux candidats finalistes du concours - semble, lui, assez influencé par la musique de Johannes Brahms.
Les vainqueurs du concours et du prix de la meilleure interprétation de la sonate de Lucien Durosoir sont la violoniste ukrainienne Diana Tishchenko et le pianiste norvégien Joachim Carr. Ce palmarès malmène l’idée selon laquelle les Français jouent mieux la musique française…
Aujourd’hui, les répertoires circulent et les musiciens ne sont pas plus familiers avec un répertoire plutôt qu’un autre suivant le pays d’où ils viennent. En outre, dans les annotations en français que l’on trouve sur les partitions, de Debussy par exemple, on peut lire des indications comme « fantasque ». Ceci est finalement bien plus une indication d’expression que de couleur ou de style. On peut être fantasque à la manière russe, ou à la manière française. La musique doit être sentie avant toute chose.
Aviez-vous déjà été participé à un jury de ce type ?
Pas pour des concours instrumentaux comme ici à Lyon, plutôt pour des disciplines d’érudition, comme l’histoire de la musique, ce qui correspond plus à ma formation. Cependant, dans quelques semaines, je vais renouveler l’expérience en participant à un jury de concours de harpe consacré au répertoire français du début du XXe siècle. On m’a évidemment sollicité pour mon expertise sur le sujet, car sorti de ce contexte la technique de la harpe est si spécifique que seuls les harpistes la comprennent !
— Hannelore Guittet
1- Alexandre Dratwicki est directeur du Centre de musique romantique française à Venise.
2 - Maurice Ravel (1875-1937), Claude Debussy (1862-1918), Gabriel Fauré (1845-1924), André Caplet (1878-1925), Albert Roussel (1869-1937), Gabriel Pierné (1863-1937), Charles-Valentin Alkan (1813-1888), Lucien Durosoir (1878-1955), Charles Koechlin (1867-1950)
3 - César Franck (1822-1870), Théodore Dubois (1837-1924), Félicien David (1810-1876), Louis Théodore Gouvy (1819-1898)
Crédits photo :
Duo TISHCHENKO-CARR © Karol Miczka