Dansons sous la neige

Dès la colonisation, la fièvre baroque s’empare des nouveaux territoires d’Amérique, où l’on s’agite au rythme des contredanses et menuets.

Au début du XVIIe siècle, le Canada commence à être véritablement colonisé. Attirés par les richesses de cette « Nouvelle-France » et la perspective d’évangélisation qui s’offrent à eux, les colons français fondent trois villes au bord du fleuve Saint-Laurent : Québec, Trois-Rivières et Montréal.

D’abord considérés comme des postes de traite pour le commerce des fourrures, Québec et Montréal se dotent rapidement d’institutions administratives, spirituelles et culturelles. Les communautés religieuses bâtissent des églises et des collèges. Le gouverneur et l’intendant(1) de la colonie entretiennent chacun une petite cour et organisent pour leurs invités des réceptions où la musique est bien présente.

Tartuffe à Québec

À l’occasion de ces fêtes gaies et illuminées, le palais de l’intendant accueille une troupe d’amateurs et de musiciens de métier engagés pour l’occasion. Ainsi, on peut réjouir la compagnie en jouant les grands succès des opéras de Lully, Collasse et Boismortier. Au printemps, les nouvelles de Paris arrivent avec les dernières cantates de Bernier, Clérambault, Mouret et les airs les plus en vogue dans la capitale.

Car même isolée au milieu de ces « arpents de neige », la haute société de la Nouvelle-France ne souhaite pas abandonner son mode de vie métropolitain !

En 1694, le provocant gouverneur Frontenac organise des représentations du Tartuffe de Molière, au grand dam de l’évêque de Québec qui se scandalise. Amateur de spectacles, le gouverneur veut faire les choses en grand : pour son Tartuffe, il fait former des acteurs, des danseurs et un ensemble de violons qui joueront les ritournelles !

La musique instrumentale n’est pas en reste et les Français qui s’installent à Québec apportent avec eux des violes de gambes, des clavecins, des violons, des flûtes ainsi que des suites françaises et sonates italiennes de Chambonnières, Marais, Corelli, Mascitti…

Carte de la Nouvelle France (Champlain, 17e siècle)

Bals à Montréal

À Montréal, on occupe les longues soirées d’hiver en dansant à un rythme effréné. Certaines années, un bal est organisé toutes les semaines pendant deux ou trois mois ! La veuve Élisabeth Bégon, qui écrit quotidiennement à son gendre, raconte que « tout le monde apprend à danser […] pour briller au bal ». Les invités s’agitent au rythme des contredanses(2) françaises et des menuets très prisés en Europe. Ces fêtes sont parfois l’occasion de « belles soûleries » et les convives se régalent à entendre conter les mésaventures de ce pauvre M. de Noyan qui, en dansant le menuet, est tombé « sa perruque d’un côté, et lui de l’autre » !

Voix indiennes

Développée en partie pour des raisons religieuses, la Nouvelle-France entretient le faste de ses églises. En 1724, un jeune prêtre originaire de Bourges débarque à Montréal. Il apporte avec lui le Livre d’orgue de Montréal, un manuscrit de plus de 540 pages de musique d’orgue inédite !

Dans les missions(3) indiennes, les jésuites font participer les indiens convertis aux offices.  « Les femmes surtout ont de très belles voix, confie un père jésuite, aussi douces et plus fortes que la voix des femmes françoises. Le chœur des hommes prend la basse, lorsque l’on chante quelques motets à trois et quatre parties. »

Les amateurs de musique avaient ainsi le plaisir d’entendre chanter des motets à quatre voix en latin et dans les langues autochtones !

Patrimoine

Alors que les Québécois s’apprêtent à célébrer le 375e anniversaire de la fondation de Montréal, le patrimoine culturel de la Nouvelle-France reste encore aujourd’hui largement ignoré des deux côtés de l’Atlantique.

Ces grandes célébrations contribueront sans nul doute à raviver le souvenir des fêtes de la Nouvelle-France et à redonner à ce patrimoine une place plus flatteuse dans la mémoire collective !

— Loris Barrucand

1-Intendant : personnage central de l’administration royale, il gère les finances de la province, contrôle la police et surveille les tribunaux.

2-Contredanses : danses à deux ou quatre couples, rendues populaires en France grâce à la simplicité des pas de base et de la mélodie.

3-Mission : poste établi par des religieux dans le but d’évangéliser les Amérindiens.

 

Le 30 Septembre 2015 par Loris Barrucand

Partager cette page