Attention, peinture fraîche !

À l’aube des quinze ans du Surnatural Orchestra, Jeannot Salvatori et Fabrice Theuillon partagent l’enthousiasme rafraîchissant et les projets d’une compagnie férue de « soundpainting ». 

Le groupe fête ses quinze ans en 2015... Comment est né Surnatural Orchestra ?

Fabrice : tout est parti d'une bande d'amis musiciens, mûs par l’ambition de monter un grand orchestre avec vingt-cinq ou trente personnes. Un pari un peu fou, mais qui a fonctionné ! Quinze ans après, l'effectif s'est stabilisé à dix-huit musiciens. J'ai personnellement intégré le groupe en 2004. Ce qui m'a séduit c'est que, malgré la difficulté de réunir autant de personnes, nous nous sommes toujours donné les moyens de jouer ensemble, avec ou sans perspectives de concerts. Une volonté artistique très forte émane du groupe depuis toujours.
Le groupe a pas mal évolué depuis ses débuts, mais quelques constantes ont toujours fait partie du projet artistique de départ. Surnatural Orchestra a vu le jour en l'an 2000, ce qui coïncide avec l'arrivée de Walter Thompson en Europe et notamment sa première master class de soundpainting(1) au CNSMDP(2). Nous avons un peu grandi avec ça, en intégrant des éléments de soundpainting dans nos spectacles, des morceaux entiers ou des improvisations destinées à introduire des morceaux écrits. Cette approche reflète pas mal la spontanéité que nous nous efforçons depuis toujours de préserver dans nos concerts : nous n'avons jamais de set list prédéfinie, plutôt un réservoir de morceaux dans lequel nous puisons suivant l'inspiration du moment.

Comment vous définir ? Vous êtes un groupe, un orchestre, un collectif... un Big Band ?

Jeannot : c'est un peu tout ça à la fois... notre credo a toujours été de proposer au public de rentrer dans un univers, plutôt que d'assister à un simple concert.
Fabrice : la scénographie fait partie intégrante du spectacle. Une des premières créations par exemple était faite d'objets en métal récupérés, comme des moules à gâteaux, des lampes de dynamo.
Jeannot : une plasticienne, Camille Sauvage, nous accompagne aussi depuis les débuts dans la création des visuels et de notre identité graphique ; sans oublier toutes les collaborations ponctuelles avec des circassiens, des peintres, d'autres groupes : autant de rencontres qui nourrissent l'orchestre. Je crois que finalement le terme qui nous définirait le mieux est « une compagnie ».

« Presque la moitié des musiciens sont des compositeurs… »

Parmi ces projets protéiformes figure le ciné-concert sur le film de Dario Argento Profondo Rosso, qui fait d'ailleurs l'objet de votre dernier album. Comment s'est construit ce spectacle ?

Jeannot : c'est à la base une commande du festival de films italiens, Dolce Cinema, à Grenoble. Le festival nous a donné carte blanche pour le film. Nous avons donc visionné pas mal d’œuvres, et notre choix s'est finalement arrêté sur Profondo Rosso de Dario Argento qui raconte l'assassinat d'un medium dont un pianiste se retrouve l'unique témoin. Le film est sorti en 1975, pendant les fameuses années de plomb(3). C'est aussi l'année de l'assassinat de Pasolini. Nous avons pris le parti de couper complètement la bande son (musique et dialogues), pour se réapproprier complètement le film et travailler sur son message sous-jacent, sur tout ce que peuvent raconter les images brutes, seules.
Argento lui-même était très engagé politiquement. Il nous a paru ainsi intéressant de faire rentrer en résonance la violence contenue dans son film et celle de la société italienne de l'époque, en insérant des textes de Pasolini et en travaillant avec une danseuse pour une illustration plus symbolique des angoisses projetées à l'écran. 

Quels projets pour 2015 ?

Fabrice : nous allons jouer pour la première fois en Angleterre au mois de mai, après avoir été invités au Québec et en Allemagne. Nous continuons de renouveler le répertoire, ce qui se fait très spontanément car l'orchestre compte plusieurs compositeurs - presque la moitié des musiciens ! Nous nous penchons notamment sur la composition collective. Nous avons jusqu'à présent arrangé les morceaux qu'un compositeur nous amenait en répétition, mais l'écriture dès le départ à dix-huit musiciens est un nouveau challenge qui nous paraît assez excitant !
Jeannot : nous enregistrons un nouvel album, dans une optique très acoustique par opposition au précédent qui avait fait l'objet d'un travail assez poussé en studio. L'album devrait sortir fin 2015, de quoi fêter dignement nos quinze ans !

 

 

 

— Hannelore Guittet

(1)   Le soundpainting est un langage gestuel de création artistique multidisciplinaire en temps réel, élaboré par Walter Thompson en 1974 à Woodstock, New York. Il est destiné à des musiciens, des danseurs, acteurs et plasticiens. En évolution constante, ce langage comporte plus de 1 200 signes de la main et corporels qui désignent différents types de matériaux artistiques spécifiques aux exécutants. Pendant une performance, le soundpainter fait un ensemble de signes aux exécutants et utilise les réponses de ceux-ci pour développer et donner forme à sa composition. Cette composition en temps réel résulte ainsi de l'interaction entre les improvisations des exécutants et celle du soundpainter.

(2)   Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris

(3)   L'expression « années de plomb » désigne les années 1968 et suivantes en Italie, marquées par la violence de l'activisme politique.

Crédits photo :

A la Une : ©Jérôme Tisserand

Corps d'article : ©Jean-Baptiste Luneau

 

Le 9 Décembre 2014 par Hannelore Guittet

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